
« Renverser le féminisme », un entretien avec Radio Renversée, enregistré au mois de juin, le podcast via le site l’intempestive. En première partie : Mwasi, collectif Afroféministe révolutionnaire panafricain. L’opportunité de discuter des activités présentes et à venir de Perspective., des discriminations structurelles par lesquelles nous sommes visées en tant que personnes noires en souffrance psychique, accès aux soins, trauma racial et psychiatrie, le décret hopsyweb, les enjeux sociaux et politiques liés à la crise, à l’état policier. Puis la nécessité de penser et agir pour une articulation entre les violences systémiques subies par les hommes noirs, et non-blancs, et les violences patriarcales, intracommunautaires. Et pour des actions de justice sociale radicales.
extrait :
« Pour Perspective. la question de la violence, des violences devient centrale. La question de ce qu’est la violence, de la définir, d’où va la violence.
Lorsque l’on est au carrefour, à l’intersection de discriminations d’oppressions systémiques qui définissent nos vies, qui parfois y mettent un terme, qui les broient, où va cette violence? Comment se transforme la violence, chez l’individu mais aussi dans le collectif. Cela pose la question du trauma communautaire, et de la transformation, de la reproduction, de la mutation de la violence. Il y a une nécessité de repenser la justice sociale dans le féminisme dans une radicalité face aux violences, sociales, systémiques, patriarcales, faites aux femmes et aux enfants.
Et cela peut se traduire par développer des systèmes d’aides mutuelles, coopératives, à la fois pensées dans l’immédiateté, pour répondre aux violences, et penser dans le temps long. Il n’y a pas de prescription face à la violence. Ni dans le traumatisme causé, ni dans la possibilité de formuler des réparations, des formes de réparation, de justices, centrées sur la ou les victimes et sur la transformation communautaire. Et dans un moment où nous sommes invités à penser le monde de demain, dans le monde d’aujourd’hui, nous pouvons formuler une orientation des organisations militantes, politiques et sociales où la question du soin, de l’accès aux soins, de la réparation, de la santé mentale serait incontournable, dans la perspective d’une émancipation individuelle et collective. (…)
Je formule le vœux, peut-être l’utopie, mais vraiment la volonté de voir plus de collaborations entre différentes formes de collectifs et d’organisations, féministes, antiracistes, où luttant contre les violences policières, différentes formes de luttes qui se croisent, qu’il y ait davantage de partages de ressources, de connaissances, de savoirs, d’actions évidemment menées en commun, mais aussi de coopérations, d’entraides stratégiques. Je pense par exemple à la question du soin, du care, à la façon dont elle est mobilisée dans les milieux militants. On voit dans les milieux militants, politiques, des dynamiques qu’on pointe du doigt dans des sphères de pouvoir, qui se rejouent d’une autre manière dans les sphères militantes. C’est à dire qu’à la fois, les hommes qui commettent des violences physiques, psychologiques, sexuelles sont souvent peu ou pas inquiétés, il y a un choix conscient ou inconscient, du fait de l’absence de mobilisations, de postures, de positions politiques, de privilégier le perpétrateur, plutôt que la victime. Et c’est souvent la victime qui doit s’effacer, disparaître qui est conduite à une forme d’isolement social, ou de mort, clinique ou sociale. C’est important de dire que pour les femmes, particulièrement pour les femmes non-blanches, pour les femmes noires dans la lutte, dans la société, il y a différentes formes de morts. C’est souvent exclure les victimes de fait, que de leur demander de se soumettre, de rester dans la lutte, en dépit des violences subies, des traumatismes causés.(…) On peut imaginer concrètement par exemple que les hommes qui se disent être dans une réelle volonté d’être dans une perspective féministe, qui se disent être dans une pratique politique féministe, sortent de la posture, et soient véritablement dans des actions qui servent ces questions là, et non pas des actions qui sont flatteuses pour la personne, l’individu, le militant, c’est à dire de ponctuellement apporter de l’aide à des groupes féministes ou de caser le mot sexisme, misogynoir ou autre dans leurs discours, mais véritablement s’engagent auprès des hommes auteurs de violences. C’est quelque chose que l’on peut imaginer puisque dans une société où l’on penserait une véritable transformation, une véritable action de justice sociale, il faut bien évidemment placer les victimes, femmes, enfants, au centre des actions menées, mais également s’intéresser, s’occuper des perpétrateurs. La violence est cyclique, la violence sociale subie a des conséquences sur les individus et sur la communauté. Elle se transforme de différentes manières, en différentes formes de traumatismes, parfois dans des addictions, mais aussi d’autres formes de violences. Et les traumatismes causés, eux, sont souvent sans fin, et doivent se penser dans la durée. Ce serait donc un impératif des luttes antiracistes et féministes, que les hommes prennent aussi en charge la question du soutien psychologique, social aux hommes perpétrateurs de violences. Comment dans un premier temps les éloigner de leur victimes, actuelles, passées ou potentielles, mais aussi les accompagner vers des processus de réparations individuelles et collectives. »
Amélie Koulanda, Perspective.